Un temps retrouvé
2024 | 116 min
Documentaire
Narration en français, séquences d’archives en anglais avec sous-titres en français
Lorsque le Canada s’engage dans la Seconde Guerre mondiale, l’Office national du film se trouve soudainement investi d’une mission urgente ; des centaines de femmes se portent alors volontaires pour contribuer à la création du cinéma canadien tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Synopsis
« Nous avons appris à travailler dans le chaos. »
Un temps retrouvé redonne vie aux femmes intrépides qui ont contribué à la naissance du cinéma canadien. Véritable chef-d’œuvre documentaire, le film met en lumière leur participation cruciale, mais méconnue à la création de l’Office national du film du Canada.
Juxtaposant un éventail éblouissant de documents d’archives à l’animation dynamique de Mélanie Bouchard, infographiste de l’ONF, le réalisateur Donald McWilliams évoque les années capiteuses de la Seconde Guerre mondiale, pendant lesquelles les femmes ont joué un rôle essentiel dans la transformation de l’ONF en un studio international de premier plan.
Les hommes étant mobilisés ailleurs pour l’effort de guerre, des centaines de femmes ont fait carrière au sein du nouvel organisme public de production. Des pionnières comme Evelyn Spice Cherry, Red Burns et Jane Marsh Beveridge ont marqué l’histoire du cinéma en réalisant des œuvres dotées d’une identité canadienne distinctive, et qui s’adressaient au monde entier.
Synopsis long
Nous sommes en 1942, dans le hall de l’hôtel Fort Garry, à Winnipeg.
Une journaliste du quotidien Winnipeg Free Press nommée Gudrun Bjerring s’apprête à interviewer John Grierson, commissaire de l’Office national du film du Canada. Fondé en 1939, le studio public a tôt fait de devenir un outil de propagande du pays en temps de guerre.
À la fin de la rencontre, Grierson offre un emploi à la jeune femme : elle est destinée à devenir l’une des premières réalisatrices du Canada, l’une des centaines de « travailleuses de l’industrie du cinéma » qu’a embauchées le commissaire de l’ONF lorsque les hommes du pays sont partis à la guerre.
Gudrun Bjerring appartient à l’extraordinaire cohorte de femmes que nous présente Un temps retrouvé, un chef-d’œuvre du cinéma d’archives qui se penche sur une histoire culturelle méconnue et qui reconnaît le rôle essentiel des femmes dans la naissance d’un cinéma canadien à nul autre pareil.
Juxtaposant une éblouissante palette de documents d’archives à l’animation dynamique de Mélanie Bouchard, infographiste de l’ONF, le réalisateur Donald McWilliams évoque les années grisantes durant lesquelles ces femmes ont contribué à produire des films qui ont fait le tour du monde. Des films dotés d’une sensibilité canadienne unique qui ont conquis la planète entière.
Il se trouvait bien parmi celles-ci quelques professionnelles chevronnées, dont Evelyn Spice Cherry, collaboratrice active de l’innovateur British Documentary Film Movement durant la décennie 1930, et Helen Lewis, monteuse à Hollywood, qui avait travaillé pour Josef von Sternberg. Mais dans l’ensemble, il s’agissait de néophytes, toutes aussi avides de faire leurs premières armes que l’était Gudrun Bjerring.
« Nous avons appris à travailler dans le chaos », affirme Red Burns. Entrée à l’Office national du film dès l’âge de 16 ans, elle cofondera par la suite le programme de télécommunications interactives à la Tisch School of the Arts de l’Université de New York, et attribuera à l’ONF son engagement d’une vie entière envers le cinéma et les nouveaux médias.
Red Burns est au nombre des « travailleuses de l’industrie du film » ayant contribué à jeter les bases du cinéma canadien tel que nous le connaissons. Un temps retrouvé nous présente quelques-unes d’entre elles, par exemple Jane Marsh Beveridge, réputée pour avoir insufflé un point de vue féministe à la propagande de l’ONF ; Evelyn Lambart, première animatrice au Canada ; Gretta Ekman, réalisatrice d’œuvres expérimentales dont la carrière a pris fin au cours du « péril rouge » de l’après-guerre ; Ruby, sœur de Grierson et pionnière du documentaire à part entière, morte alors qu’elle tournait un film pour l’ONF lorsque le navire à bord duquel elle voyageait a été torpillé. Le film pointe également les projecteurs sur les travailleuses de l’ombre, comme Margaret Ann Bjornson Elton, surnommée « la plus grande voleuse de films » en reconnaissance du talent qu’elle possédait de dénicher et de réutiliser les images, une compétence très prisée durant la production frénétique de la période de guerre. Citons aussi Helen Watson, qui a coordonné une équipe itinérante de projectionnistes à l’échelle du pays.
Des images remarquables de « Four Days in May », une réunion organisée en 1975 par le Studio D, la défunte unité réservée aux réalisatrices de l’ONF, s’entremêlent à la trame du film. Les femmes du temps de guerre se remémorent cette période qu’elles ont traversée ensemble et, des décennies plus tard, leurs discussions larges et animées n’ont rien perdu de leur actualité.
À propos des femmes
Gudrun Bjerring Parker (1920-2022)
Gudrun Bjerring est une jeune journaliste lorsqu’elle rencontre John Grierson, qu’elle interviewe dans le hall d’un hôtel de Winnipeg. Impressionné par ses compétences journalistiques, Grierson lui propose de faire partie de son équipe, qui travaille alors en pleine guerre. Gudrun Bjerring se joint à l’équipe sans aucune expérience cinématographique, mais ne tarde pas à réaliser ses propres œuvres, dont une série de courts métrages éducatifs sur les vitamines, tournés par Judith Crawley, une autre pionnière dans le domaine du cinéma. Avec des films comme Before They Are Six (1943) et Le chant des Prairies (1945), Gudrun Bjerring apporte un lyrisme distinctif à la forme documentaire. En 1944, elle devient directrice de la nouvelle Educational Production Unit de l’ONF. Elle peut ainsi poursuivre sa passion pour l’éducation et l’art cinématographique. Elle remporte des prix pour Children’s Concert (1949) et Opera School (1951). Elle épouse Morton Parker, cinéaste à l’ONF, et travaille avec lui sur The Stratford Adventure (1953), nommé aux Oscars. En 1963, le couple lance sa propre société de production, Park Film Associates. Au cours de sa longue carrière, Gudrun Bjerring Parker a produit ou réalisé plus de cinquante films. En 2006, elle est nommée membre de l’Ordre du Canada.
Goldie « Red » Burns (née Goldie Gennis) (1925-2013)
Goldie Gennis — ou Red Burns, nom sous lequel on la connaît — est une jeune fille précoce. Elle a 16 ans, en 1941, lorsqu’elle se plante devant le bureau de John Grierson, impatiente de travailler pour le nouveau producteur public. Grierson finit par capituler : Red Burns décroche un emploi aux services techniques, coup d’envoi d’une extraordinaire carrière. À sa mort, en 2013, le New York Times la qualifie de « marraine de la Silicon Alley », en reconnaissance de son travail de pionnière dans le domaine du cinéma et des nouveaux médias. Avec George Stoney, l’un des premiers producteurs du programme Challenge for Change/Société nouvelle de l’ONF, Red Burns cofonde le programme de télécommunications interactives à la Tisch School of the Arts de l’Université de New York, qu’elle préside pendant plus de 20 ans.
Jane Marsh Beveridge (née Jane Smart) (1915-1998)
Née à Ottawa, Jane Marsh Beveridge entre à l’ONF en 1941 comme scénariste. Très vite, elle devient réalisatrice de courts métrages, entre autres pour Canada Carries On (En avant Canada) et The World in Action, des séries d’actualités diffusées dans les salles de cinéma. Elle apporte une sensibilité féministe précoce aux titres Les femmes dans la mêlée (1942) et Nos femmes ailées (1943), courts métrages de propagande qui encouragent la participation des femmes à l’effort de guerre. Elle écrira, réalisera et montera Terre de nos aïeux (1943), l’un des premiers films de l’ONF qui est le fruit du travail d’une équipe cent pour cent féminine. Elle quitte l’ONF en 1944 en raison d’un désaccord avec Grierson et s’installe à New York où elle travaille sur les actualités Act and Fact pour les services d’informations britanniques. Elle abandonne ensuite le cinéma et poursuit une carrière d’enseignante et de sculptrice. Sa sœur était la poétesse et romancière Elizabeth Smart, auteure de By Grand Central Station I Sat Down and Wept.
Gretta Ekman (1916-2004)
Gretta Ekman est une jeune artiste talentueuse. Elle travaille pour le service géodésique d’Ottawa lorsque son ami le producteur Robert Verrall l’incite à se joindre à l’ONF. Impressionné par ses talents, Norman McLaren l’incite à réaliser son propre film d’animation. « Elle est la seule artiste canadienne que j’ai essayé d’encourager dans le domaine de l’animation dessinée à la main qui s’est prise au jeu », dira-t-il plus tard. Le résultat : Twirligig (1952). McLaren en envoie une version 3D au Festival of Britain. Mais lorsque la direction de l’ONF apprend que Gretta Ekman a assisté à des réunions de gauche lorsqu’elle était étudiante, la direction de l’Office annule son contrat et retire son nom du générique. McLaren et le compositeur Maurice Blackburn protestent et retirent également leur nom du générique. Ce n’est qu’en 2011, lorsque l’animatrice et universitaire canadienne Alison Reiko Loader tombe sur les documents de Twirligig au British Film Institute, que le film est restauré et diffusé de nouveau avec le générique d’origine.
Evelyn Spice Cherry (1906-1990)
Pionnière du documentaire et militante de longue date, Evelyn Spice, née en Saskatchewan, suit une formation de journaliste avant de s’installer au Royaume-Uni en 1931. Elle y trouve un emploi auprès de John Grierson dans la toute nouvelle unité cinématographique du General Post Office (GPO) Film Unit. Elle impressionne les critiques avec Weather Forecast, un documentaire poétique sur les méthodes de prévision météorologique. En 1941, elle et son mari, le cinéaste Lawrence Cherry, acceptent l’invitation de Grierson de se joindre à l’ONF. Evelyn Spice Cherry joue un rôle clé dans l’élaboration du mandat public du nouvel organisme. En tant que codirectrice de l’unité agricole de l’ONF, elle documente l’émergence des coopératives agricoles, entre autres questions sociales. Ses convictions de gauche deviennent toutefois un handicap pendant la « peur rouge » de l’après-guerre. En 1950, elle est contrainte de quitter l’ONF. Avec son mari, elle crée par la suite la société Cherry Films Ltd. Quand elle prend sa retraite, en 1985, elle a produit ou réalisé plus de cent films.
Ruby Grierson (1904-1940)
Ruby Grierson, l’une des six sœurs de John Grierson, suit une formation d’enseignante avant de se lancer dans la production de documentaires. Après avoir travaillé comme assistante sur le documentaire phare Housing Problems, sans que son nom figure au générique, elle réalise très vite ses propres œuvres, des documentaires à caractère social comme London Wakes Up et Today and Tomorrow. Ruby Grierson fait participer ses protagonistes, souvent des femmes de la classe ouvrière, à la production, et anticipe ainsi de plusieurs décennies l’esprit de Challenge for Change/Société nouvelle de l’ONF. Elle participe activement à l’effort de guerre, et décède en 1940 lorsque le navire sur lequel elle se trouve est torpillé durant une traversée de l’Atlantique. Elle travaillait alors pour l’ONF et réalisait un film sur l’évacuation des enfants britanniques vers le Canada. Sorti sous le titre Children from Overseas (1940), le film est d’abord attribué à Stanley Hawes seul. C’est en 2020 que le statut de coréalisatrice est enfin attribué à Ruby Grierson. La cinéaste est le sujet du documentaire Ruby Grierson: Reshooting History, réalisé par Fiona Adams pour le compte de la BBC Scotland.
Helen Lewis (1898 ?-1987)
Lorsqu’elle arrive à l’ONF au début des années 1940, Helen Lewis est déjà une monteuse chevronnée ayant travaillé avec de grands réalisateurs, comme Josef von Sternberg. Elle rencontre John Grierson à Los Angeles lors d’une conférence qu’il y donne. Celui-ci réussit à la convaincre de se joindre à son équipe alors débordée puisque la guerre bat son plein. Au cours de la décennie suivante, Helen Lewis monte de nombreuses productions de l’ONF. Elle travaille souvent avec une cigarette aux lèvres et apporte une riche expérience au tout nouveau producteur public. Elle exerce ensuite son métier de monteuse à la télévision de la CBC et se montre très active dans la Canadian Film Editors Guild.
Helen Watson Gordon (1918-2016)
Helen Watson n’a que 24 ans lorsqu’elle se joint à l’ONF. Elle y arrive toutefois avec une expérience organisationnelle considérable puisqu’elle a déjà géré des projets éducatifs au Manitoba. Très vite, elle dirige les circuits ruraux de l’ONF, une initiative novatrice qui envoie plus de cent projectionnistes itinérants dans les communautés du pays. Des millions de Canadiennes et Canadiens se voient pour la première fois à l’écran. En 1946, l’ONF l’envoie en Australie comme représentante de l’Office. Elle y effectue un travail similaire pour l’Australian Film Board. C’est là qu’elle rencontre son futur mari, le diplomate américain Herb Gordon. En 1954, le couple est envoyé en Inde. Helen Watson Gordon participe alors à la création d’une école internationale, soutient l’action caritative de mère Teresa et accueille des personnalités, entre autres Duke Ellington, Martin Luther King et Edward Kennedy.
Alma Duncan (1917-2004)
Après avoir travaillé comme artiste commerciale, Alma Duncan entre au Service des arts graphiques de l’ONF en 1943, où elle conçoit des affiches et du matériel publicitaire. Elle poursuit parallèlement une active carrière indépendante et documente divers aspects de l’effort de guerre dans ses dessins et peintures. Lorsque le Service des arts graphiques est dissous, elle passe au studio d’animation et réalise Folksong Fantasy (1950). En 1951, elle fonde Dunclaren Production avec Audrey McLaren, une collègue de l’ONF qui deviendra sa compagne, et crée des films d’animation, entre autres Kumak, the Sleepy Hunter. Alma Duncan reste active jusque dans les années 1980 et participe à des expositions au Canada et à l’étranger. Ses œuvres figurent dans de nombreuses collections publiques et une grande rétrospective de son travail a été organisée en 2014 par la Galerie d’art d’Ottawa.
Evelyn Lambart (1914-1999)
Considérée comme la première femme animatrice du Canada, Evelyn Lambart est toute fraîche émoulue d’une école d’art lorsqu’elle commence à travailler au siège social de l’ONF, à Ottawa, en 1942. Chargée des films d’actualités en temps de guerre, elle fait preuve d’un talent unique pour créer des cartes et des graphiques animés. En 1947, elle réalise son premier film, un court métrage éducatif inventif intitulé La carte impossible. C’est une proche collaboratrice de Norman McLaren. Ensemble, ils coréalisent six films, dont l’extraordinaire Begone Dull Care (Caprice en couleurs), paru en 1949. En solo, Evelyn Lambart réalise notamment Mr. Frog Went A-Courting (1974), un chef-d’œuvre de l’animation de papiers découpés. Malentendante dès son plus jeune âge, elle attribue à cette affection le mérite d’avoir accru son attention aux détails visuels. L’ONF reste son foyer de création jusqu’à sa retraite.
Entrevue avec le cinéaste Donald McWilliams
Parlez-nous de la genèse de votre dernier film, Un temps retrouvé.
Tout commence en 2017 lorsque Hocine Cherifi, superviseur des salles de conservation de l’ONF, tombe sur une boîte de vieilles bandes Betacam de trois quarts de pouce. Il pense que ces cassettes présentent un intérêt. Michelle van Beusekom, alors directrice générale du Programme anglais, me demande d’y jeter un coup d’œil. Comme nous craignions d’endommager les rubans en les passant dans les vieux lecteurs Beta, nous les avons numérisés à mesure du visionnement. Nous avons ainsi découvert du matériel que Roger Blais avait tourné pour un film qu’il réalisait sur John Grierson, le premier commissaire de l’ONF. S’y trouvait, entre autres, une séquence de 78 minutes retraçant un événement appelé « Four Days in May », une réunion organisée en 1975 par le Studio D, le tout nouveau studio destiné au travail des femmes.
Le Studio D a publié une monographie après la réunion, j’en savais donc quelque chose, mais nous disposions désormais d’images réelles. Les 78 minutes n’ont capté qu’une partie de l’événement, mais cette découverte a néanmoins ouvert une nouvelle porte. L’histoire des débuts de l’ONF se révèle bien plus riche que nous ne le pensions : pour dire les choses simplement, on a largement ignoré le rôle des femmes. Michelle van Beusekom a donc lancé une « enquête ». Notre titre de travail était NFB Women, le titre de la monographie du Studio D. À l’époque, nous imaginions que ce serait rapide et simple ; nous n’avions aucune idée de la richesse du matériel que nous allions déterrer.
Ce projet a nécessité quantité de recherches. Parlez-nous de ce processus.
L’ensemble a pris beaucoup plus de temps que prévu, et la pandémie ne nous a pas facilité la tâche. Deux choses essentielles se sont produites dès le début. Lorsque nous sommes partis à la recherche des séquences restantes de « Four Days in May », nous avons appris qu’on les avait jetées, une perte majeure. Mais Katherine Kasirer, la bibliothécaire de l’ONF, a découvert que Roger Blais avait placé du matériel de l’Office dans les livres rares et les collections spécialisées de l’Université McGill. Grâce à l’acharnement d’Alison Burns, notre chercheuse principale, nous avons réussi à mettre la main sur ce matériel. Nous y avons trouvé des extraits du film de Roger Blais sur Grierson, dont une copie intacte de ces 78 minutes. Ce que nous avions numérisé à partir des cassettes Beta était d’une qualité médiocre. Il s’agissait donc d’une précieuse découverte. De plus, nous avons trouvé une grande quantité de nouveau matériel sonore enregistré sur bande magnétique.
La deuxième chose, ce sont les informations que nous avons glanées dans la monographie du Studio D. À la dernière page figure une note de service de Clyde Owen, un superviseur du laboratoire, où l’on trouve une longue liste de noms de femmes qui avaient occupé des emplois techniques au cours de ces premières années. J’ai apporté cette liste à Josée Laliberté, à la photothèque de l’ONF, qui a fait un travail extraordinaire. Josée connaît l’Office national du film comme le fond de sa poche. Elle s’est plongée dans les archives, a récupéré des boîtes de vieilles photos, des images de ces femmes dans les années 1940. J’ai fini par numériser plus de 750 de ces photos. Nombre d’entre elles apparaissent dans la version finale du film.
Alison s’est chargée d’une tâche essentielle : communiquer avec les familles de nos protagonistes. Dans le cas d’Helen Watson Gordon, un personnage fascinant qui a contribué à la mise en place des circuits ruraux, Alison a réussi à retrouver ses filles dans le Connecticut. Elles nous ont envoyé quatre boîtes de documents : toute la correspondance d’Helen avec l’ONF, ses journaux intimes d’adolescence et des photos d’elle en compagnie de personnalités comme mère Teresa et les Kennedy, prises en Inde après sa carrière à l’ONF.
En fin de compte, nous avons utilisé du matériel issu d’une multitude de sources, ce qui représente un effort phénoménal. Je n’y serai jamais parvenu sans Alison Burns et Josée Laliberté, deux collaboratrices hors pair. Mélanie Bouchard a également participé au projet dès le début et a créé de magnifiques séquences graphiques. J’ai aussi pu compter sur Michelle van Beusekom, qui a lancé le projet, et sur mes productrices, Annette Clarke et Kat Baulu, et mon producteur, Ariel Nasr. Sans oublier les services techniques de l’ONF, qui ont su saisir l’importance de notre entreprise.
Vous avez mis au jour un grand nombre d’histoires fascinantes. Souhaitez-vous en citer une en particulier ?
Dans l’ensemble, on a négligé les femmes dans les divers écrits sur l’histoire de l’ONF. Il restait donc de nombreuses découvertes à faire. Ainsi, je n’avais jamais entendu parler de Red Burns, j’ai honte de l’avouer. Helen Lewis en est une autre. Monteuse, elle a travaillé avec de grands réalisateurs comme Josef von Sternberg. Nous avons trouvé une entrevue hilarante d’elle, où elle raconte comment elle a rencontré Grierson à Hollywood et comment il l’a incitée à rejoindre son équipe.
Nous voyons aujourd’hui un certain nombre de noms familiers sous un jour nouveau, des femmes telles que Gudrun Bjerring Parker, par exemple. Les historiens du cinéma évoquent souvent des films de l’Unité B, entre autres Corral et Paul Tomkowicz, comme le début de la tradition documentaire distincte du Canada, mais c’est Bjerring Parker qui a lancé le bal avec Le chant des Prairies et Before They Are Six.
Vient ensuite l’histoire de la « peur rouge » et de son impact sur l’ONF. Evelyn Spice Cherry, figure de proue de la première équipe de Grierson en Angleterre, a été plus ou moins évincée en 1950 en raison de ses tendances gauchistes. Elle a au moins continué à réaliser des films ; d’autres n’ont pas eu cette chance. Peu de gens ont entendu parler de Gretta Ekman, par exemple, une jeune animatrice brillante, qui avait toute l’admiration de McLaren. Elle a réalisé un remarquable court métrage, Twirligig, qui est sorti en 3D, mais que l’ONF a enterré en raison des présumés penchants gauchistes de Gretta Ekman. Nous l’avons donc ressorti des limbes.
Nous avons dû couper bon nombre de récits, par manque de temps, comme celui de la pionnière de la poésie moderniste canadienne Joyce Anne Marriott, auteure d’un extraordinaire poème narratif intitulé The Wind, Our Enemy. Elle écrivait des scénarios à l’ONF. Il reste donc beaucoup d’histoires à raconter.
Qu’en est-il du parcours peu connu de la sœur de Grierson ?
Oui, Ruby Grierson, un grand talent, à part entière. Je me souviens que Norman McLaren m’avait parlé d’elle lors d’une de nos premières conversations. Il l’avait rencontrée pendant qu’ils travaillaient tous deux sous la direction de John Grierson à la General Post Office (GPO) Film Unit. Elle lui avait fait forte impression. Cette jeune femme se rendait dans les bidonvilles pour interviewer des personnes que la société ignorait. Elle n’a pas été reconnue pour les entrevues révolutionnaires qu’elle a réalisées dans le cadre de Housing Problems, peut-être le premier documentaire dans lequel nous entendons la voix des gens de la classe ouvrière, qui parlent directement à la caméra de leur vie. Elle est morte jeune, à l’âge de 36 ans, alors qu’elle travaillait pour l’ONF. Elle tournait un film sur l’évacuation d’enfants britanniques vers le Canada pendant la guerre : le navire a été torpillé. Le film est sorti en 1940 sous le titre Children from Overseas, mais il a fallu des années avant que Ruby Grierson n’obtienne le statut de coréalisatrice.
La plupart de vos films font un usage intensif de documents d’archives. Qu’est-ce qui vous attire dans ce type de cinéma ?
Cela remonte à 1946, j’avais alors 11 ans. Je me rendais à l’école lorsque j’ai jeté un coup d’œil par la fenêtre du bus : un vieux cinéma miteux projetait All Quiet on the Western Front (1930). Mon père m’avait parlé de ce film, qui illustrait notre humanité commune en montrant la Première Guerre mondiale du point de vue d’un jeune soldat allemand. Je suis donc allé le voir le samedi suivant. Cette projection a changé ma vie. J’ai soudain compris que le cinéma ne se réduisait pas à un simple divertissement, qu’il s’agissait d’un art qui pouvait toucher à la fois l’esprit et le cœur. Je me souviens aussi d’un livre de photographies intitulé These Tremendous Years 1919-1938, un document visuel qui est devenu une sorte de bible pour moi lorsque j’étais enfant. On me voit le feuilleter dans Un temps retrouvé.
Depuis lors, je m’intéresse aux vieux films. Bien des années plus tard, après le succès du Génie créateur : Norman McLaren, l’ONF m’a donné carte blanche : je pouvais faire ce que je voulais. On avait le sentiment à l’époque que l’Office devait se lancer plus avant dans un travail expérimental. J’ai donc commencé à fouiller dans les archives, à la recherche de matériel, de morceaux de vieux films. Les responsables du montage de négatifs de l’équipe ont été formidables, et m’ont aidé à trouver toutes sortes de choses. Le résultat : The Passerby. Il comprend des films dénichés dans un marché aux puces, en Angleterre, ainsi que du matériel découvert dans une malle, jetée aux ordures, pleine de la « vie » d’un homme.
L’Office national du film ne représente pas seulement votre base créative, mais aussi votre sujet. Vous avez déjà réalisé deux films sur des cinéastes de l’ONF : Le génie créateur : Norman McLaren, que vous avez mentionné plus haut, et Onze moments animés avec Evelyn Lambart. Qu’est-ce qui vous motive ?
Tout a commencé en 1959. Je travaillais pour une société d’études de marché à Toronto et je partageais un grand appartement. Un soir, l’un de mes colocataires est rentré à la maison, après avoir vu une reprise de Gaslight (Hantise) au cinéma d’art et d’essai local. Je lui ai demandé si je devais voir ce film. Il m’a répondu oui, mais il a ajouté que la véritable attraction, c’était le court métrage d’animation qui précédait le film. J’y suis donc allé et j’ai vu Serenal, de McLaren. J’étais abasourdi. Ce film a ébranlé toutes les idées que je me faisais sur le cinéma. J’ai commencé à rechercher les œuvres de McLaren. Lorsque je suis devenu enseignant, je les montrais dans mes classes. Je demandais aux étudiantes et étudiants de dessiner leur propre animation à la main, sur des pellicules fournies par l’Office.
Puis, en 1968, j’ai participé à un événement organisé par l’ONF, le Media Institute of Film Study (Institut des médias pour les études cinématographiques). C’était une période radicale ; l’ONF était déterminé à révolutionner l’éducation au Canada. L’Office a donc invité une vingtaine de soi-disant réformistes. Nous étions toutes et tous liés à l’éducation d’une manière ou d’une autre. Pendant six semaines, on nous a bombardés de films, entre autres de Warhol et de Stan Brakhage, on nous a offert des cours de montage, de mime, des débats sur McLuhan, etc. J’avais apporté quatre films de mes étudiantes et étudiants. À un moment donné, je suis allé frapper à la porte de McLaren. Il était toujours sollicité de la sorte, mais il a pris le temps de regarder le travail que je lui présentais et m’a dit : « C’est intéressant ! Réservons une salle pour les projeter sur grand écran. »
Et ma vie a basculé. Lorsque je me suis lancé dans la carrière de cinéaste, McLaren est devenu mon professeur. C’est lui qui m’a donné l’idée de mon premier film, Light Motif, un court métrage abstrait. Depuis, l’ONF, c’est ma maison spirituelle, le Studio d’animation en particulier, même si je réalise essentiellement des documentaires. C’est donc par McLaren que j’ai commencé à m’intéresser à l’Office national du film, que je considère aujourd’hui comme la voix du Canada. J’ai toujours voulu réaliser un film sur le Canada et, dans un sens, Un temps retrouvé est le fruit de cette démarche.
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L’ONF en bref
Fondé en 1939 et unique en son genre, l’Office national du film du Canada (ONF) produit, coproduit et distribue des documentaires et des films d’animation distinctifs, engageants, pertinents et innovants. Incubateur de talents, il est un des plus grands laboratoires de création au monde. Depuis plus de huit décennies, l’ONF permet aux Canadiennes et aux Canadiens de se raconter et de se rencontrer. Ses films sont de plus une ressource éducative fiable et accessible. L’ONF possède également une expertise reconnue mondialement en préservation et en conservation, en plus d’une riche collection vivante d’œuvres qui constituent un pilier important du patrimoine culturel du Canada. Jusqu’à maintenant, l’ONF a produit plus de 14 000 œuvres, dont 6500 sont accessibles gratuitement en ligne sur onf.ca. L’ONF ainsi que ses productions et coproductions ont remporté au-delà de 7000 prix, dont 11 Oscars et un Oscar honorifique récompensant l’excellence de l’organisation dans toutes les sphères de la cinématographie.