Un journaliste au front
2016 | 98 min 13 s
Prix et festivals
FILM DE CLÔTURERIDM 2016
Sélection officielleFestival DOXA du film documentaire 2017
Sélection officielleGuangzhou, International Documentary Film Festival (GZDOC) 2017
Synopsis court
Reporter pigiste canadien, Jesse Rosenfeld a fait du Moyen-Orient son champ d’observation. Un journaliste au front suit son parcours et témoigne d’une réalité régionale complexe, tout en rendant compte de l‘évolution de la pratique journalistique dans le nouveau contexte médiatique imposé par le Net.
De l’Égypte à la Turquie et à l’Irak, en passant par Israël et la Palestine, le documentaire montre les hauts et les bas d’un nouveau journalisme en action où le reporter doit savoir imposer ses sujets et prendre position pour espérer faire la une. Objectif : faire entendre la voix d’une information indépendante et critique dans la nouvelle jungle de la communication.
Description longue
Qu’est-ce qui fait courir Jesse Rosenfeld ? Jesse est un reporter pigiste canadien établi à Toronto qui a fait de l’ensemble du Moyen-Orient son terrain d’observation. Le documentaire suit son quotidien alors qu’il parcourt notamment l’Égypte, Israël et la Palestine, la Turquie et le Kurdistan irakien. Centré sur ce personnage aux multiples facettes qui doit répondre aux impératifs de l’actualité pour vivre de sa plume, Un journaliste au front témoigne d’une réalité régionale complexe, marquée par les brûlures de l’histoire, tout en rendant compte de l’évolution de la pratique journalistique dans un tout nouveau contexte médiatique.
Face à « l’appel » des zones de guerre, Jesse répond toujours présent, habité qu’il est par une forme d’idéalisme qui montre sa foi en l’humanité. Qu’il couvre les espoirs déçus de la révolution égyptienne (on croise au Caire le journaliste canadien Mohamed Fahmy arrêté et jugé par le régime pour avoir approché les Frères musulmans), les soubresauts du conflit israélo-palestinien à partir de Ramallah ou de Gaza, la réalité des camps de réfugiés dans le Sud-Est de la Turquie ou la progression des combattants kurdes contre le groupe armé État islamique dans le nord de l’Irak, l’homme est là pour faire comprendre à ses lecteurs les enjeux sur le terrain. À travers les multiples récits qu’il recueille, il s’efforce de raconter l’impact des grands évènements historiques sur les populations locales. Sensible à cette démarche, Un journaliste au front épouse la cause d’un homme constamment en mouvement qui doit sans cesse composer avec la jungle de la communication pour imposer ses sujets et espérer faire la une.
Jesse est un journaliste dans l’air du temps. Documentant son parcours en zone de conflit, le film montre la nouvelle réalité des reporters pigistes qui doivent s’adapter aux grands bouleversements de l’information suite à la crise de la presse écrite des années 2000. Aujourd’hui, tout passe de plus en plus par le Net et, pour se faire un nom, Jesse doit collaborer à plusieurs magazines Web comme le Daily Beast, un site américain qui rejoint un large lectorat. De cette révolution, en marge des médias traditionnels, est né un nouveau type de journalisme qui exige des reportages humains très documentés et une position éditoriale forte et fiable de la part des reporters. Un journalise au front nous initie à cette nouvelle quête effrénée de l’information qui entend se dissocier des médias de masse.
À travers les obstacles et les frustrations que doit surmonter Jesse (obtention d’une accréditation par un média qui couvrira les frais de déplacement et d’hébergement, recrutement d’un guide et d’un interprète, recherche de contacts, évaluation des risques, mise des ressources en commun), le documentaire nous fait découvrir les différentes étapes menant à l’écriture d’un article. En affirmant son point de vue face à l’actualité, le journaliste des temps modernes entend approcher le réel différemment et retrouver son statut de citoyen. Pour Jesse Rosenfeld qui appartient à la génération de ceux qui ont grandi avec la guerre en Irak, il est important de toujours contextualiser et il ne se prive pas de renvoyer l’Occident à sa part de responsabilité dans l’actuel bourbier moyen-oriental.
Par sa forme qui allie entrevues avec le protagoniste, reportages sur le terrain, prises de position et documents d’archives glanés dans les médias, Un journaliste au front multiplie les angles pour dresser le portrait d’un nouveau journalisme en action à l’heure du tout numérique. Collé aux déplacements incessants de Jesse, le film s’apparente à un film d’action aux multiples rebondissements qui tient le spectateur en haleine. À l’occasion de quelques plages de repos à Toronto où le journaliste se met provisoirement à l’abri des rumeurs du monde, Jesse Rosenfeld dévoile d’autres aspects de sa personnalité : celle d’un professionnel aguerri, hanté par des images d’horreur et qui ne pose jamais en héros. Prisonnier d’un cycle sans fin, l’homme reprendra bientôt sa course vers d’autres cieux mouvementés avec un seul espoir en tête : celui de conscientiser ses lecteurs aux réalités géopolitiques du monde et de faire bouger les lignes. Solidaire de la quête de vérité qui anime un Jesse Rosenfeld rempli de contradictions, Un journaliste au front prend le temps de nous révéler de l’intérieur l’importance d’une information indépendante, diversifiée et critique, dans un paysage médiatique enclin à la convergence.
Entrevue avec Santiago Bertolino
1- Comment as-tu rencontré Jesse Rosenfeld et pourquoi est-il devenu le sujet de ton film ?
En 2011, j’ai rencontré Jesse pour la première fois sur la « Flottille de la liberté pour Gaza ». Le bateau de la délégation canadienne était ancré en Crête et devait se rendre à Gaza pour briser le blocus de manière symbolique et apporter de l’aide humanitaire à la population.
Il y avait à son bord des militants pacifistes propalestiniens et quatre ou cinq journalistes qui avaient été invités pour couvrir cette aventure. De mon côté, j’avais été approché par les organisateurs pour rendre compte de ce projet et j’avais réussi à avoir un contrat pour le journal Métro afin de réaliser des reportages écrits sur la flottille. Je voulais tenter l’expérience du journalisme à cette époque.
Donc, c’est dans ce contexte que j’ai rencontré Jesse. Il faisait partie des journalistes invités sur le bateau. Le personnage m’a tout de suite fasciné. C’était un jeune journaliste de 27 ans, un Torontois qui avait décidé de s’installer à Ramallah et d’écrire des reportages sur la situation en Palestine. Il avait l’air passionné, il comprenait bien la réalité des activistes qui avaient embarqué sur le bateau et il avait une connaissance très poussée des enjeux politiques au Moyen-Orient. Il travaillait à la pige et réussissait à vivre de ses articles tout en ayant un point de vue critique sur la situation. Je m’étais toujours demandé si c’était possible de vivre du journalisme engagé et Jesse en était la preuve…
Le personnage m’est resté en tête, et c’est deux ans plus tard, en 2013, que je l’ai appelé. Je venais de finir mon premier long métrage documentaire, Carré rouge sur fond noir, et je cherchais un nouveau sujet de film. J’avais envie de faire un documentaire dynamique sur la situation politique au Moyen-Orient, je me demandais ce qui allait se passer après le printemps arabe. Et je me suis dit, comme ça : « Pourquoi ne pas découvrir le Moyen-Orient à travers la réalité d’un jeune journaliste pigiste ? Pourquoi ne pas suivre Jesse directement sur le terrain et lever le voile sur son métier ? D’ailleurs, le monde du journalisme est en crise, la presse écrite est en pleine mutation, c’est un sujet actuel ! Et l’on va pouvoir suivre l’actualité de la région par son intermédiaire. »
Jesse m’apparaissait comme la personne idéale pour ce que je voulais faire. Je travaille souvent comme ça : une idée me vient à l’esprit et elle m’obsède ; je dois réaliser le projet pour m’en libérer.
Quand je l’ai contacté, il était justement de passage à Montréal. On s’est rencontrés, je lui ai fait part de mon désir de le suivre sur le terrain pendant une longue période. Le lendemain, je faisais une première entrevue avec lui dans le parc du Mont-Royal pour vérifier comme il était à la caméra. C’était parfait ! Il était loquace, fasciné par la situation politique au Moyen-Orient et complètement naturel. Après l’entrevue, il m’a dit : « OK, man, you can meet me in Ramallah in one month. » Un mois plus tard, j’avais amassé un petit montant pour me rendre là-bas de manière autonome, et c’est comme ça que l’aventure a commencé. À mon retour, après 10 jours, j’ai monté une petite démo vidéo que j’ai proposée à l’ONF qui a embarqué dans le projet.
2- Qu’est-ce qui t’interpellait dans la fonction de journaliste indépendant ?
Un journaliste indépendant, c’est un journaliste qui n’est pas salarié. Il est libre, il travaille à la pige. Il a la possibilité d’écrire les articles qui le motivent réellement, il n’a pas de patron. C’est une situation enviable parce qu’il n’a pas de rédacteur en chef qui lui dicte ses sujets, mais en contrepartie, il n’a pas de bonnes conditions de travail, il doit vendre ses papiers à la pièce, il n’a pas de rémunération fixe et aucun employeur n’est responsable de lui. S’il lui arrive quelque chose, il doit se débrouiller par lui-même. Il est plus vulnérable.
Je me suis intéressé à ce type de journalisme parce que, de nos jours, il y a de plus en plus de journalistes indépendants qui se concurrencent sur le terrain. La crise de la presse écrite qui sévit depuis 2004 a mis au chômage de nombreux journalistes, et ils se sont retrouvés à devoir travailler comme pigistes. Pour les plus jeunes journalistes tels que Jesse, c’est la même chose : ils ont très peu de chances de se trouver un emploi permanent dans un grand journal, ils doivent eux aussi travailler comme indépendants et vendre des articles à la pièce.
Décrire le métier de journaliste indépendant, c’est ma manière de dresser un constat de la situation difficile que vit le monde du journalisme en ce moment. On va le voir dans le film, Jesse est à la fois libre d’écrire les articles qu’il veut, mais il doit sans arrêt se battre pour réussir à les vendre. Son mode de vie est assez précaire. Comme il est payé à l’article, il doit continuellement avoir des sujets en tête et solliciter différents journaux susceptibles de publier son travail.
À un moment du film, il est coincé à Istanbul, en Turquie. On est quelques jours avant Noël. Un rédacteur en chef lui avait promis de l’envoyer en Irak couvrir la guerre que mènent les Kurdes contre le groupe armé État islamique, mais finalement, la situation a changé, d’autres événements d’actualité plus importants se sont produits dans le monde et plus aucun journal ne veut lui avancer les fonds nécessaires pour se rendre sur le terrain. On voit Jesse qui ne lâche pas prise, il contacte frénétiquement d’autres rédacteurs en chef, il veut absolument réaliser ce reportage de terrain, mais personne ne le rappelle. Le problème, aussi, c’est qu’il a présenté un budget trop élevé. Faire des reportages en zone de guerre coûte cher, surtout en raison de la rémunération des recherchistes sur le terrain, ceux qu’on appelle les « fixeurs ». Cette fois-là, il lui a fallu se résigner à trouver une solution de rechange. Il est finalement allé visiter des camps de réfugiés au sud-est de la Turquie, à la frontière avec la Syrie. C’est lui qui a dû prendre le risque d’avancer les fonds pour ce voyage et qui a dû vendre son article une fois que celui-ci a été écrit. Ce n’est pas un métier facile.
3- Partir seul avec tout un équipement professionnel, sillonner le Moyen-Orient, traverser les frontières, qu’est-ce que cela représentait pour toi ?
Durant le tournage du documentaire, je n’ai travaillé avec un directeur photo (caméraman) qu’à deux occasions : d’abord en Israël, juste au début de la dernière guerre entre Israël et Gaza, en juillet 2014 ; puis dans la bande de Gaza, un an après.
Cela avait de bons côtés : pendant que le caméraman ne pensait qu’à filmer, moi, je pouvais me concentrer sur mes entrevues, mieux observer ce qui se passait autour de moi et lui faire des propositions. Lorsque j’étais avec Jesse, le caméraman pouvait aussi aller prendre des beauty shots. Le tournage offrait donc une plus grande variété de plans. Mais il y avait aussi des inconvénients : il me fallait gérer une deuxième personne, prendre du temps pour échanger avec mon caméraman ; Jesse n’avait plus le réflexe de se confier à moi avec naturel, je sentais moins l’esprit de complicité qu’on avait réussi à établir pendant le tournage précédent, en Égypte. Le fait que je sois derrière la caméra permettait que Jesse parle directement à l’objectif ; je trouvais cela plus dynamique.
Quand j’étais seul avec lui, on partageait la même chambre d’hôtel. Celle-ci devenait un peu sa salle de rédaction : c’est là qu’il se documentait, qu’il écoutait les bulletins télévisés, qu’il réagissait à chaud aux événements. C’est comme ça que je pouvais réellement capter toutes les étapes de rédaction d’un article ainsi que ses impressions sur le vif. Et dès qu’il se passait quelque chose d’intéressant, j’allumais la caméra. C’était vraiment le concept de la caméra-crayon : je filmais un peu à la manière d’un journaliste qui prend des notes, c’était très réactif.
J’ai donc travaillé en homme-orchestre la majeure partie du temps. Je cumulais les postes de réalisateur, de caméraman et de preneur de son. En fait, j’ai souvent procédé de cette façon, si bien que j’étais habitué. Quand j’ai commencé à faire des documentaires sociaux, il y a 15 ans, je travaillais de cette manière. C’était surtout par nécessité, parce que je n’avais pas de financement. Je n’avais pas les moyens de me payer une équipe avec un caméraman et un preneur de son, mais j’ai appris à être efficace, et j’aime filmer aussi ! C’est surtout pour le son que ça devient un peu plus complexe pour moi. Par exemple, il faut gérer le micro-cravate, être capable de changer les batteries d’une main tout en tenant la caméra de l’autre… Et je me suis débarrassé de mon trépied : cela faisait trop d’équipement à traîner pour une seule personne. Donc, la majorité des images du documentaire sont tournées à la main. Cela demande une certaine endurance. Après une journée de tournage — qui pouvait parfois durer 14 heures —, j’étais complètement vidé… Mais j’ai réussi !
4- Ce film, est-ce une forme d’engagement social ?
Dans Un journaliste au front, mon engagement social s’exprime par le choix de mon personnage, un reporter pigiste qui pratique une forme de journalisme effectivement plus engagé que ce qu’on a l’habitude de lire dans la presse mainstream. Tout dépend des sujets qu’il couvre, mais assez souvent, dans la manière dont il les aborde, Jesse adopte un angle éditorial que la plupart des grands journaux n’oseraient pas prendre aussi ouvertement. Je pense, par exemple, aux titres de ses articles sur la dernière guerre à Gaza : « Israel’s campaign to send back Gaza to the stone age », « Under american bombs in Gaza: Food for Palestinians and bombs for Israel. Uncle Sam gives to both — just not equally ». Ou à son article sur la situation politique de l’Égypte après le printemps arabe, où Jesse critique les dernières élections, qu’il estime pipées d’avance : « Egypt prepares to anoint a dictator and call it an election ». Ou aussi à son papier sur l’arrestation injuste du journaliste canado-égyptien d’Al-Jazira Mohamed Fahmy : « Al Jazeera journalists are on trial in Egypt for doing their jobs ».
Ce sont des reportages très fouillés, et qui offrent un point de vue critique sur les choses. Jesse dit en entrevue qu’il souhaite que ses articles amènent les gens à prendre position : « Si les gens ne font rien, je n’ai pas bien joué mon rôle. »
Pour moi, Jesse ne verse pas dans cette sacro-sainte objectivité qui oblige parfois les journalistes à créer un équilibre entre des points de vue adverses et qui, finalement, crée plus de confusion qu’autre chose dans la compréhension d’un sujet, car elle amène les gens à ne plus savoir quelle perspective adopter et entraîne une espèce de « je-m’en-foutisme » généralisé par rapport au sort de la planète.
Quand la riposte d’Israël apparaît disproportionnée par rapport à une attaque du Hamas, par exemple, Jesse le dit, et ce sont des faits. Si les journalistes d’Al-Jazira sont victimes d’une arrestation abusive, il le prouve, et il ne cherche pas à créer un équilibre entre le point de vue du gouvernement et celui des défenseurs de la liberté de la presse. La vérité se trouve souvent dans un camp, celle du respect des droits de la personne et de la justice sociale… Cette opinion est sûrement discutable, mais c’est la mienne et je l’assume.
Dans le choix de mon sujet, il y a aussi un engagement en ce sens que je veux conscientiser les gens sur l’importance d’avoir des reporters canadiens à l’étranger. J’écoutais récemment une entrevue à la radio de Radio-Canada. La personne interviewée expliquait qu’il y a seulement Radio-Canada et La Presse, au Québec, qui envoient des journalistes à l’étranger, et en plus il y a très peu de journalistes qui vivent sur place comme le fait Jesse. Il faut des correspondants canadiens qui vivent à l’étranger et qui nous rapportent la nouvelle ici, qui ne vont pas juste aller dans les conférences de presse, mais plutôt se rendre sur le terrain pour rencontrer la population, sans nécessairement être escortés par des militaires… Jesse, c’est ça qu’il fait, il veut apporter sa vision personnelle sur les choses, sans être contrôlé par le pouvoir en place, par exemple.
La majorité de l’information dont on dispose sur le reste du monde repose trop souvent sur les agences de presse qui ne font que relayer des faits de manière expéditive, sans approfondir le sujet, créant cette impression qu’on nous rapporte toujours la même chose de l’actualité internationale. Une explosion a eu lieu à tel endroit, les forces armées ont tenté de repousser l’ennemi… Pour moi, c’est crucial que les Québécois, les Canadiens soient mieux informés sur ce qui se passe à l’étranger, à travers une perspective dont ils se sentent proches. C’est comme cela, entre autres, que les gens vont mieux comprendre la réalité des nouveaux arrivants au Canada, ou qu’on peut combattre certains préjugés racistes. L’information sur le reste du monde participe à l’ouverture d’esprit !
5- En quoi ce documentaire diffère-t-il de tes précédents films ? Comment s’inscrit-il dans ton parcours de cinéaste ?
Avec mon premier long métrage documentaire, Carré rouge sur fond noir, réalisé en 2012, je me situais du côté de ceux qui se mobilisent. En suivant les artisans du printemps érable, le film dévoilait les coulisses du changement social au Québec. Dans Un journaliste au front, je me suis intéressé à celui qui veut témoigner en se mettant du côté des sans-voix. Le film suit, directement sur le terrain, le quotidien de Jesse Rosenfeld, un jeune journaliste canadien basé au Moyen-Orient. Dans les deux cas, il s’agit de films « expériences », dans le sens où je veux que le public puisse s’identifier aux personnages, vivre avec eux les défis qu’ils surmontent, entrer dans leurs aventures humaines et mieux comprendre les idéaux qu’ils défendent. Chacun de mes films aborde aussi les grands enjeux sociopolitiques de l’heure : Carré rouge porte sur la crise étudiante et le financement du système d’éducation ; Un journaliste au front aborde l’éclatement du Moyen-Orient après le printemps arabe.
Depuis mon dernier documentaire, mon approche cinématographique a évolué. Dans Carré rouge sur fond noir, ma caméra était plutôt observatrice, j’étais un spectateur. Je filmais le réel en me mettant en retrait, sans vraiment faire face à mes personnages, sans qu’on m’entende intervenir. Avec le recul, en regardant à nouveau le film, je me suis rendu compte qu’on ne sent pas assez mon point de vue d’auteur sur les aspects abordés. Avec Un journaliste au front, j’ai ajouté la dimension qui manquait.
Dans ce deuxième long métrage documentaire, je suis devenu plus interventionniste dans mon approche à l’égard de mon personnage. Je ne fais pas que capter l’action du moment, j’interagis avec lui. On entend mes questions en hors champ, on ressent ainsi davantage mon point de vue. Je deviens moi aussi un protagoniste du film… Dès le début du documentaire, Jesse me parle directement. Comme je filme moi-même, cela fait que mon personnage me répond directement à la caméra, on sent que celle-ci devient une sorte de regard subjectif sur ce qu’il est en train de vivre. J’ai aussi voulu, dans ce deuxième film, augmenter la proximité avec mon personnage. Je le suis partout où il va, et à force de vivre des moments dangereux ensemble, on devient complices, une équipe qui s’entraide, la distance entre la caméra et lui se réduit, ce qui amène Jesse à se confier avec naturel. Tout se fait de manière plus organique.
Entrevue avec Jesse Rosenfeld
1- Comment le film est-il né ? Comment Santiago vous a-t-il convaincu de prendre part à ce projet ?
Santiago a communiqué avec moi à la fin de 2013 en me disant qu’il souhaitait réaliser un documentaire portant sur mon travail de journaliste au Moyen-Orient. L’occasion semblait belle de relancer de nombreux sujets que j’avais traités. C’était d’ailleurs ce que sous-tendait la démarche : rendre compte de l’état d’agitation actuel au Moyen-Orient, qu’il s’agisse de guerre, d’occupation, de révolution ou de contre-révolution. Santiago a vraiment démarré le projet au moment où s’amorçait la contre-révolution qui a suivi le printemps arabe. Il était primordial qu’en Occident les gens saisissent bien les enjeux. Et le documentaire permettait de donner un second souffle à mon travail en le présentant à un plus vaste public. Voilà ce qui m’a amené à participer au projet.
2- Quels avantages et inconvénients y a-t-il à travailler comme pigiste en zone de guerre ? Vous arrive-t-il de rêver à un emploi sans risque dans une grande organisation médiatique ?
Mes reportages ne se limitent pas aux zones de guerre : ils traitent aussi des enjeux politiques, économiques et sociaux dans l’ensemble de la région. Je préférerais assurément occuper un poste de correspondant ou d’employé et continuer de réaliser mes reportages. Mis à part le fait qu’on a un boulot, en journalisme, la pige est la pire situation qui soit. Mais je peux suivre les histoires que j’estime importantes. Consacrer mon temps aux questions sur lesquelles je crois qu’on doit lire, à l’Ouest, et qui font ressortir les grandes lignes de fracture et les principales luttes auxquelles se livrent les gens au Moyen-Orient. De ce point de vue, j’aime vraiment mon travail.
D’un autre côté, on ne fait pas d’argent. Il est très difficile de gagner sa vie. Et le milieu des médias soulève sans cesse plus de difficultés pour quiconque veut vivre de ses reportages. C’est le principal désavantage du métier et c’est aussi, dans une large mesure, le portrait des médias d’aujourd’hui, lesquels dépendent de plus en plus de la pige et ne font rien pour améliorer les conditions de travail.
L’une des grandes différences, lorsque vous êtes employé dans une société médiatique, c’est qu’on vous appuie entièrement. Il m’arrive souvent d’avoir à négocier le soutien qu’on va m’apporter, ainsi que les dépenses couvertes : même si, en théorie, tous les frais devraient être payés, les choses ne fonctionnent pas toujours ainsi. Ou alors, je traite avec plusieurs rédacteurs en chef et, dans ce cas, je dois prendre en charge ma propre sécurité et m’assurer que, quand je communique avec eux, ils comprennent parfaitement ma situation.
Reste qu’il faut raconter les histoires des gens du Moyen-Orient. C’est ce qui me pousse à continuer. Je considère que le fait de communiquer ces récits et de réaliser mes reportages sur les lieux est sans doute le mieux que je puisse accomplir, et je tente d’y arriver par tous les moyens possibles. À l’heure actuelle, il semble que la pige soit la principale, voire la seule solution offerte, puisque les postes en entreprise sont de moins en moins nombreux. Mais si j’avais la possibilité de travailler pour une organisation médiatique garantissant sécurité et soutien, je n’hésiterais évidemment pas.
3- Vous dites dans le film que vous écrivez pour inciter les gens à agir. À quel public vous adressez-vous ? Quelles actions espérez-vous enclencher par votre travail ?
Mes reportages s’adressent à un auditoire anglophone. Le grand avantage d’Internet, c’est qu’il permet de lire de n’importe où, mais j’écris surtout pour des médias américains et j’oriente beaucoup mes histoires en conséquence, parce que les États-Unis jouent un rôle déterminant dans l’évolution de la situation au Moyen-Orient. Et je crois qu’il importe, non seulement d’informer les Américains, les Britanniques et les Canadiens de la nature et des objectifs des décisions politiques de leurs gouvernements, mais aussi de leur dire qui sont les gens du Moyen-Orient et comment ils sont touchés. J’écris sur ce qui amène ces derniers à se battre, sur ce qu’ils vivent, sur leurs revendications afin de forcer un public occidental, et en particulier un public américain, à entreprendre un dialogue quelconque, une discussion avec ceux qui subissent concrètement les conséquences de ces choix politiques. Un message qui a toujours été difficile à faire passer.
Quant à la réaction que j’espère susciter, je n’écris pas pour mieux informer les universitaires, les analystes politiques et je ne sais qui. Je relate ce que vivent les gens sur place, ce qu’ils disent et ce qu’ils veulent afin que les Occidentaux les comprennent et comprennent également le rôle de leurs propres gouvernements, puis prennent les mesures qui s’imposent pour contrer une large part des injustices qui se produisent dans la région. Qu’ils le fassent de façon éclairée plutôt que de s’appuyer sur des clichés. Je tiens à ce qu’ils saisissent vraiment les subtilités, les nuances et la dynamique du pouvoir. Qu’ils sachent qui mène le jeu et qui subit les conséquences. Je veux qu’ils connaissent les responsables et les victimes de ces décisions politiques, et orientent leurs actions vers les bonnes cibles. La réaction des Occidentaux leur appartient. Mais j’espère qu’après avoir lu mes reportages ils auront l’impression de comprendre ce qui se passe et se sentiront tenus de participer d’une manière ou d’une autre.
4- Votre rapport au danger et à la peur a-t-il évolué avec le temps et, dans l’affirmative, comment ?
Je fais beaucoup mieux la distinction entre un feu d’artifice, un coup de fusil et une bombe. Quand il ne s’agit pas d’un feu d’artifice, c’est carrément l’enfer !
Mais pour répondre sérieusement, je situe maintenant la violence dans un contexte plus large : les raisons qui ont amené les gens à se révolter, les enjeux qui les touchent personnellement. Je saisis beaucoup mieux l’ampleur de ces questions que lorsque je me trouvais en Amérique du Nord. J’évalue la répression différemment, selon un registre bien plus étendu.
Je sais aujourd’hui ce qu’il en coûte de s’exprimer. Dans certains pays, cela conduit en prison. Ailleurs, descendre dans la rue peut impliquer de se faire tirer dessus. Dans d’autres pays, le seul fait de réclamer le droit à l’autodétermination entraîne l’emprisonnement, le jugement d’un tribunal militaire et le harcèlement de sa famille par l’armée.
Je comprends donc plus profondément ce que tout cela signifie pour les gens, pourquoi ils agissent comme ils le font et j’essaie de communiquer cette dimension en m’efforçant d’éclairer le contexte.
5- Vous partagez votre vie entre Toronto et le Moyen-Orient. Comment gérez-vous les transitions ? Deviennent-elles plus faciles avec les années ?
Je suis au Moyen-Orient depuis que j’ai quitté l’université, en 2007. Donc, cela fait maintenant neuf ans. Ce qui signifie que mon chez-moi est à présent le Moyen-Orient. Ma conjointe et moi y travaillons tous deux, et nous y avons organisé notre vie commune. Toronto est l’endroit où habitent ma famille et certains de mes plus vieux amis. Lorsque je rentre au Canada, je m’y sens en vacances, et le pays s’y prête parfaitement, puisque la société canadienne se trouve à bien des égards très loin des événements qui se déroulent dans le reste du monde. Au Canada, on entend constamment dire à quel point la situation là-bas est terrible et combien on a de la chance de vivre dans ce pays. Voilà le genre de distance auquel je fais allusion. Habiter dans un pays où il existe une réticence à prendre position ou à se sentir interpellé par ce qui se passe à l’étranger me semble affreusement frustrant, mais s’il s’agit simplement d’y venir en visite, alors la pause est tout aussi agréable que des vacances estivales au chalet !
BIOGRAPHIE DE JESSE ROSENFELD
Jesse Rosenfeld est originaire de Toronto, où il a grandi. Il a passé ces neuf dernières années sur les lignes de front à faire des reportages sur les grands événements qui façonnent le Moyen-Orient. Pendant ses études en développement international à l’Université McGill, il a milité pour la justice sociale et a occupé le poste de rédacteur aux informations du journal étudiant, The McGill Daily. Aussitôt après avoir obtenu son diplôme en 2007, il a plié bagage pour se rendre à Ramallah, ville occupée de la Cisjordanie, où il a commencé sa carrière de reporteur international à titre de pigiste couvrant l’occupation par Israël. Pendant les sept années suivantes, il a essentiellement travaillé depuis Israël et les territoires occupés de la Palestine.
Il a ensuite vécu au Caire, à Istanbul et à Beyrouth — où il habite actuellement — tout en faisant des reportages sur la région depuis l’Iraq et la Jordanie. Témoin de la guerre, de l’occupation, de la révolution et de la contre-révolution, Rosenfeld va au cœur des histoires qui ont transformé cette zone, racontant à ses lecteurs le vécu des gens qui traversent ces bouleversements sans précédent. Il a fait des reportages sur 15 pays du Moyen-Orient, d’Europe et d’Amérique du Nord (y compris le Canada), pour des médias comme The Daily Beast, The Nation Magazine, Al Jazeera English, The Guardian, The National (Abou Dhabi), The Toronto Star, Le Monde diplomatique et NOW Magazine.
Bande-annonce
Extraits
Équipe
Images
Générique
Un film de
Santiago Bertolino
Avec la participation de
Jesse Rosenfeld
Scénarisation et réalisation
Santiago Bertolino
Image et son
Santiago Bertolino
Conception sonore
Olivier Calvert
Images additionnelles
Daniel Lanteigne
Ahmed Fadel Al Massary
Montage
Aube Foglia
Assistantes au montage
Joëlle Arseneau
Marie-Eve Talbot
Coordonnateur technique – équipement de tournage
Steve Hallé
Support technique au montage image
Pierre Dupont
Isabelle Painchaud
Patrick Trahan
Traduction
Divvy Ahronheim
Kamel Bouzeboudjen
Cevat Sahin
MELS
Générique d’ouverture et design des titres
Direction de création et réalisation
Christian Langlois
Design et animation infographique
Mélanie Bouchard
Montage en ligne
Serge Verreault
Bruitage
Lise Wedlock
Enregistrement du bruitage
Luc Léger
Mixage
Shelley Craig
Musique
Esmerine
Musiciens
Bruce Cawdron
Rebecca Foon
Brian Sanderson
Jamie Thompson
Musiciens invités
Mishka Stein
Colin Stetson
Enregistrement de la musique
James Stephens
Musique additionnelle
Flying Street
Composée et interprétée par
Stefan Christoff
Sam Shalabi
Participants
Abdulrahman Noori Abdulrahman
Anis Attia Anis
Allison Deger
Mohammad Husso
Nael Mosallam
Ayar Mohammed Rasool
Leora Rissin
Mark Rosenfeld
Sardar Sharif
Lia Tarachansky
Archives
Al Jazeera
Associated Press
Chambre des communes
The Daily Beast Company
David Weiss/Shutterstock.com
France 24
ITN Source
NBCUniversal Archives
Pond 5
RT-RUPTLY
Vurb/Shutterstock.com
Libération des archives
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Agentes de mise en marché
Karine Sévigny
Judith Lessard-Bérubé
assistées de
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Administratrice
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Coordonnatrices de production
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Gabrielle Dupont
Isabelle Limoges
Hélène Regimbal
Adjointe administratives
Pascale Savoie-Brideau
Larissa Estevam Christoforo
Coordonnatrice technique
Mira Mailhot
Productrice déléguée
Mélanie Lasnier
Producteurs
Nathalie Cloutier
Denis McCready
Productrice exécutive
Colette Loumède
Une production de
l’Office national du film du Canada
Relations de presse
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Attachée de presse – Montréal
C. : 514-458-9745
n.viau@onf.ca
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L’ONF en bref
Fondé en 1939 et unique en son genre, l’Office national du film du Canada (ONF) produit, coproduit et distribue des documentaires et des films d’animation distinctifs, engageants, pertinents et innovants. Incubateur de talents, il est un des plus grands laboratoires de création au monde. Depuis plus de huit décennies, l’ONF permet aux Canadiennes et aux Canadiens de se raconter et de se rencontrer. Ses films sont de plus une ressource éducative fiable et accessible. L’ONF possède également une expertise reconnue mondialement en préservation et en conservation, en plus d’une riche collection vivante d’œuvres qui constituent un pilier important du patrimoine culturel du Canada. Jusqu’à maintenant, l’ONF a produit plus de 14 000 œuvres, dont 6500 sont accessibles gratuitement en ligne sur onf.ca. L’ONF ainsi que ses productions et coproductions ont remporté au-delà de 7000 prix, dont 11 Oscars et un Oscar honorifique récompensant l’excellence de l’organisation dans toutes les sphères de la cinématographie.